Documentaire / Presse

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FRANÇOISE GOMEZ “INTRANSIGEANTE SUR LE TERRAIN”

Françoise Gomez est née le 14 août 1972 dans le 14e arrondissement de Paris. A 48 ans, celle que l’on surnomme « mamie » au Stade Français, continue de partager sa vie entre le rugby de haut niveau, son travail et sa famille. Cette femme forte, affirmée et passionnée a accepté de revenir avec nous sur sa carrière. On découvre, au fil de ses souvenirs, sa passion pour ce sport et la place centrale qu’occupe sa famille dans sa vie. Elle nous livre aussi, avec son franc parler, son analyse du rugby et son évolution.

Françoise Gomez, comment as-tu commencé le rugby ?
Je me souviens très bien des matchs de rugby que mon père regardait à la télé quand j’étais jeune et pendant longtemps, j’ai imaginé le rugby comme un sport d’écossais qui se roulent dans la boue. Quelques années plus tard, j’ai commencé à m’intéresser au rugby grâce à mon conjoint qui est un vrai passionné. En 1999, après trois année d’hésitation, il m’a convaincu d’essayer. Je suis allée sur le terrain et j’ai tout de suite adoré. Quand on joue au rugby, on a une sensation de liberté, on court, on joue au ballon, on est à l’extérieur, on peut se battre dans le respect des règles et il y a plein de monde autour de soi.

Est-ce que tu peux nous présenter ton parcours de joueuse ?
J’ai débuté le rugby en 1999 à Gennevilliers, dans le club le plus proche de chez moi. J’ai porté ce maillot jusqu’en 2007.

J’ai ensuite ressenti le besoin de m’essayer dans un autre club pour m’éloigner des tensions qu’il y avait dans le mien. C’est à ce moment-là que j’ai fait une année à Nanterre. A la fin de la saison, Nanterre est descendu au même niveau que Gennevilliers et je ne me voyais pas jouer contre mes anciennes coéquipières. Je suis donc retournée dans mon club d’origine de 2009 à 2014.

“j’avais toujours souhaité jouer avec le maillot rose“

Hélas, en 2014, suite à des désaccords avec le bureau de l’époque, l’équipe de Gennevilliers a explosé. J’ai joué une année avec le club de Maisons-Laffitte. Puis en 2015, le Stade Français a eu l’envie de monter une équipe féminine performante. Dans un coin de ma tête, j’avais toujours souhaité jouer avec le maillot rose. Cette année-là, une vingtaine de joueuses expérimentées se sont lancées dans ce projet et ensemble, on a réussi à faire monter l’équipe dans le haut niveau du championnat.

En parallèle de ma carrière en club, j’ai aussi eu une belle expérience avec l’équipe de France 7s. En 2007, Frédéric Pomarel, l’entraîneur de France 7s, m’a proposé de faire les sélections. J’ai hésité parce que j’avais déjà été de nombreuses fois déçues à la suite des séléctions pour le XV. Après réflexion, j’ai quand même tenté ma chance et j’ai eu l’opportunité de porter le maillot bleu de 2007 à 2009. Avec cette nouvelle équipe formée, on a gagné pour la première fois la coupe d’Europe en 2007.

A côté de ta carrière de joueuse, tu as aussi une carrière de coach. Peux-tu nous en parler ?
Quand mon fils était jeune, il s’est inscrit au rugby et son club manquait d’entraîneurs. C’est comme ca que j’ai commencé en tant qu’éducatrice à l’école de rugby à Saint-Denis de 2002 à 2008. J’ai d’ailleurs coaché mon fils jusqu’en U16.

En 2009, Frédéric Pomarel, l’entraîneur de France 7s féminine, m’a proposé de devenir son adjointe pendant une année et de passer mon diplôme d’État en parallèle. A côté des nombreux entraînements à Marcoussis, et de mon diplôme d’État à préparer, j’étais aussi coach et joueuse à Gennevilliers. Avec mes coéquipières, on avait des objectifs très ambitieux pour la saison. C’était une période extrêmement chargée !

J’ai obtenu mon diplôme d’État et j’ai cumulé la fonction de coach et joueuse de Gennevilliers jusqu’en 2012. Ensuite, j’ai entraîné des U14 au racing club puis au Stade Français jusqu’en 2020. J’ai décidé de quitter cette fonction cette année.

En plus du rugby, tu mets en place des formations pour des jeunes. Peux-tu nous parler de ton métier ?
Je suis diplômée d’un master 2 d’économie internationale et j’ai un CAPES de coordination pédagogique et d’ingénierie de formation. Depuis 1999, je mets en place des formations pour des jeunes de plus de 16 ans qui se retrouvent, pour différentes raisons, sans école à la rentrée. Je m’occupe du budget, du projet pédagogique, des emplois du temps, des entretiens avec les jeunes et les enseignants. Je mène aussi des ateliers avec les jeunes pour les amener à comprendre les causes de l’échec, à apprendre à rebondir positivement et à construire un projet professionnel. Et puis je fais aussi du soutien en mathématiques, par exemple.

Comment mène-t-on une vie de famille lorsqu’on joue au rugby à haut niveau, qu’on entraîne des jeunes et qu’on travaille ?
C’est une question d’organisation et d’entourage. Lorsque mon fils était jeune, j’ai pu compter sur mon conjoint, ma famille et ma belle-famille. Comme je travaille pour l’Education Nationale, je pouvais m’occuper de mon fils pendant les vacances scolaires. Mais il faut vraiment être très organisée.

Comment fais-tu pour rester dans l’élite du rugby après 20 ans ? Quelles épreuves as-tu dû surmonter ?
Ca n’a pas toujours été simple. J’ai été à l’écoute de mon corps et j’ai aussi écouté mon conjoint. Cela m’a permis de ne pas revenir trop tôt après une blessure.

“J’essaie d’avoir une hygiène de vie saine, de m’accorder des temps de pause dans la journée et pendant les vacances“

J’ai aussi beaucoup de chance parce que j’ai une masse musculaire importante liée à un patrimoine génétique exceptionnel. Tout le monde pense que je me suis développée avec la muscu, mais c’est faux. En tout cas, cette masse musculaire me protège et je fais également attention à mon alimentation depuis une dizaine d’années. J’essaie d’avoir une hygiène de vie saine, de m’accorder des temps de pause dans la journée et pendant les vacances.

Tu fais de la musculation depuis quelques années. Tu t’entraînes combien de fois par semaine ?
Depuis 2014, je me suis mise à la musculation, deux ou trois fois par semaine, avant tout pour ma santé. Ca me permet aussi de gagner en vitesse au rugby et de permettre à mon corps d’assumer davantage les chocs. La musculation, c’est quelque chose que je fais en famille avec mon conjoint, mon fils et ma belle-fille. D’ailleurs, je pense que je ferai peut-être du power lift en compétition après le rugby.

En 2018, ta belle-fille t’a lancé un défi. Tu veux bien nous raconter ?
Ma belle-fille est coach sportive. En 2018, elle m’a défiée de participer à une compétition de bodybuilding. Je lui ai dit que j’acceptais à condition que l’inscription soit inférieure à 100 euros. Comme c’était 95 euros, je me suis entraînée et j’ai réalisé un rééquilibrage alimentaire. Plusieurs mois avant la compétition NFR, j’ai bénéficié d’un suivi alimentaire de la part de mon conjoint. Cette expérience m’a vraiment permis de repousser mes limites. J’ai beaucoup appris sur moi, sur mon corps. D’ailleurs, j’ai limité les sucres rapides et les sucres transformés dans mon alimentation depuis ce concours. Et pour la petite histoire, j’ai gagné la compétition en catégorie « figure ».

Après autant d’années dans le rugby, qu’est ce qui te motive à continuer ?
J’adore le rugby. C’est ludique, on court, on combat. Ce sport permet de se libérer quand on est rempli d’agressivité. Par contre, j’ai vu ce sport évoluer. C’est peut-être moi aussi qui, avec l’âge, analyse différemment les choses.

Justement, comment juges-tu l’évolution du rugby au féminin ?
L’équipe nationale, c’est le jour et la nuit. Désormais tout est plus structuré, on voit que ça a tendance à se professionnaliser. Comme les filles commencent plus jeunes, elles ont plus de bagages rugbystiques et elles ont des compétences de repérage dans l’espace.

En ce qui concerne la médiatisation, je trouve ça très bien de pouvoir regarder les matchs du XV de France sur France TV parce qu’aujourd’hui, le niveau le permet. Pour une éventuelle diffusion du championnat, c’est plus compliqué. Tant que les équipes féminines changent autant de niveau d’une année sur l’autre, tant qu’il y a des scores 70-0, je pense que ce n’est pas forcément une bonne idée de le diffuser sur des chaînes nationales à grande audience. Ca desservirait le rugby féminin.

” Avant, le club était notre deuxième maison “

Au niveau des clubs, ca a aussi beaucoup changé. J’ai l’impression que l’état d’esprit a changé quel que soit le club. Après, c’est peut-être parce qu’au Stade Français, il n’y a pas de club house ni de vestiaires là où on s’entraîne, mais j’ai l’impression que l’esprit de groupe n’est plus le même, malgré les efforts des filles. Avant, le club était notre deuxième maison. On y passait beaucoup de temps avec ses coéquipières. Là, après les entraînements, les filles du Stade Français organisent des soirées au resto mais ce n’est pas accessible à toutes les joueuses.

Il y a aussi des méthodes que je ne partage pas dans la façon de déterminer les joueuses sélectionnées sur les feuilles de match. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les coachs se focalisent sur le niveau des joueuses en oubliant un peu le mérite à aller sur le terrain.

Et puis on aborde les matchs en championnat comme si les joueuses étaient professionnelles alors qu’elles ne le sont pas. Par exemple, lorsqu’on demande à une étudiante, qui à un partiel le lundi, de venir faire un déplacement de deux jours pour la faire jouer 5 minutes, je trouve que ca serait bien de garder à l’esprit qu’il ne s’agit que d’amateurisme. Je veux dire par là que, selon moi, il faudrait en discuter avec elle au préalable pour la laisser libre de faire ses choix. La motivation n’en serait que meilleure.
De manière générale, il y a tout un tas de sujet où je trouve qu’on pourrait améliorer les choses en considérant mieux les individus.



Est-ce que tu sais quand tu raccrocheras les crampons ?
Je ne sais pas encore quand j’arrêterai le rugby. Depuis que j’ai 35-38 ans, je ressens une pression sociale par rapport à ça. C’est une pression que je ne comprends pas d’ailleurs parce qu’il s’agit de ma vie, de mon corps, et que je suis libre de mes choix. Ma famille ne conçoit pas que je puisse un jour arrêter d’ailleurs. Mais j’avoue que j’ai du mal à me motiver pour les matchs qui nécessitent des déplacements en ce moment. Je dois m’occuper de mon père et je veux passer du temps avec mon petit fils. En vieillissant, je me rends compte aussi que j’ai de moins en moins envie d’être entraînée par qui que ce soit ! Mais j’adore le rugby, j’adore jouer. Alors tant que je peux avoir ma licence, que je passe les tests de santé et que mon corps encaisse les chocs, je la prends. On verra autour de mes 50 ans !

Quel message souhaites-tu passer aux plus jeunes ?
J’ai envie de leur dire qu’il ne faut pas se fixer de limites. Il faut se donner totalement les moyens de ses objectifs en travaillant dur, parce qu’il est très facile de trouver des excuses pour ne pas faire. Et puis, je dirais qu’il ne faut pas se laisser influencer par des individus qui avancent des arguments qui ne sont pas objectifs ou vérifiables.

Pour finir, je te propose de répondre au questionnaire de rugby au féminin :

Quelle est ta plus grande réussite rugbystique ?
C’est d’avoir réussi, en 2010, à emmener l’équipe de Gennevilliers au plus haut niveau (on a été championnes de France). Et c’est aussi d’avoir réussi, avec quelques coéquipières, à créer une équipe de 7 incroyable alors qu’on traversait une période difficile avec le XV. A cette époque là, on a réussi à créer un collectif qu’on n’a jamais retrouvé après.

Quel est ton plus gros échec rugbystique ou ta plus grande défaite ?
De ne m’être jamais donné les moyens de jouer en équipe de France à XV. Je n’ai pas exploité mon potentiel à 100 %.

Si tu pouvais revenir en arrière dans ta carrière, ferais-tu d’autres choix, changerais-tu quelque chose ?
Je n’écouterais pas les entraîneurs qui m’ont dit de jouer pilier. Ca m’a détruit les cervicales parce qu’il n’y avait pas de préparation physique adéquate.

Quelle est la plus grande qualité qu’une joueuse de rugby doit avoir ?
Le mental.

Quel est le pire défaut qu’une joueuse de rugby peut avoir ?
La lâcheté.

Comment définis-tu une championne ?
Un individu qui a de l’abnégation, qui ne se fixe pas de limite et qui a une confiance en soi démesurée. La confiance en soi, c’est la base de la réussite.

Si tu n’avais pas eu cette passion du rugby, pour quoi te serais-tu passionnée ?
J’aurais eu ma vie de famille et mes voyages.

Qu’est-ce que tu voudrais que tes coéquipières et coachs disent de toi lorsque tu raccrocheras les crampons?
Que j’ai été intransigeante sur le terrain, même si je ne le suis pas en ce moment (rires), que je pouvais modifier la configuration d’un match et que j’étais juste.

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